Nos décisions sont-elles réellement rationnelles ?
Le 8 janvier 1989, le biréacteur Boeing de British Midland Airways Heathrow avec 156 passagers, se dirige vers Belfast. A 20h05, les passagers et les hôtesses à l’arrière voient sortir du réacteur gauche des « étincelles » puis des « flammes », qui embrasent la nuit environnante.
Persuadés que le moteur défectueux est celui de droite, le commandant de bord et son copilote prennent la décision d’arrêter le réacteur de droite qui fonctionnait normalement. A quelques kilomètres de la piste d’atterrissage, le moteur défectueux finit par s’arrêter complètement.
Réalisant soudainement l’erreur de jugement qu’il vient de commettre, le commandant de bord demande au copilote de relancer la machine malencontreusement stoppée.
Trop tard. L’avion s’écrase. Bilan, 47 morts et 84 blessés graves.
Jamais nos décisions ne seront rationnelles
Les travaux de psychologie cognitive ont montré que nos décisions sont souvent illogiques, voire irrationnelles, alors que nous sommes persuadés qu’elles sont fondamentalement logiques et rationnelles. Car en chacun de nous, coexistent des forces qui s’opposent, intégrant des dimensions qui relèvent du monde de l’intangible, s’articulant autour des valeurs et de la culture.
Daniel Kahneman, spécialiste de la psychologie cognitive considère que beaucoup de décisions individuelles sont prises sur la base d’erreurs de perception ou de façon intuitive, voire routinière. Ces décisions ne se fondent pas sur notre seule raison mais sur notre intuition, nos émotions ou nos habitudes.
Pour faire un mauvais choix, rien de plus simple : « il suffit de faire confiance à ses automatismes de pensée et surtout ne pas se poser de question ! » alerte Dan Ariely, économiste comportementaliste. Et dans la mesure où tout le monde est sujet à ces biais cognitifs, il est clair qu’une prise de conscience de leur existence constitue un bon début pour limiter les pièges tendus…. par soi-même.
Le professeur Herbert Simon, prix Nobel d’économie en 1978, également connu pour son concept du décideur à rationalité limitée, conseille plus de modestie aux managers. Aucune décision ne peut prétendre à la seule logique rationnelle. Il est impossible que le comportement d’un individu seul et isolé atteigne un haut niveau de rationalité – soutient-il. La logique est forcément relative car elle est assujettie aux limites objectives de tout être humain : les dons et les capacités de chacun, les valeurs et les buts personnels, les limites liées à la maîtrise personnelle d’une situation.
Nos décisions sont-elles réellement les nôtres ?
Tous les jours nous prenons des décisions, mais dans quelle mesure sont-elles le fruit de notre libre-arbitre ? Notre liberté de penser est-elle une illusion ?
Chez tous les êtres vivants, et l’Homme n’y échappe pas, certains facteurs génétiques et culturels orientent nos décisions. Globalement aux yeux de la science, notre liberté de choix n’est qu’une illusion. En effet, nous sommes presque entièrement déterminés par différents facteurs biologiques et sociaux, qui tous assemblés forment un système très complexe que nous ne comprenons pas et interprétons comme une liberté.
Des expériences ont montré comment des adultes mentalement sains sont capables de faire un choix, alors qu’ils sont sûrs de perdre, dans le seul but de faire perdre leur adversaire. Le désir de « punir » l’adversaire l’emporte sur le désir de gagner de l’argent. Si les décisions prises sous le coup de l’émotion peuvent être courageuses, elles sont rarement sages.
Plus les neuroscientifiques étudient le conscient, plus ils se rendent compte de l’absolue prééminence du non conscient dans chacun des actes clés de notre vie : décisions, relations interpersonnelles, perceptions, souvenirs, émotions, etc. Que nous le voulions ou non, nous sommes des êtres sous l’emprise de notre inconscient qui fait, d’une manière ou d’une autre, ce qu’il veut dans notre tête.
L’intelligence non consciente, qui est la synthèse de notre patrimoine génétique et de l’ensemble de nos expériences et apprentissages accumulés tout au long de notre vie est infiniment supérieure à l’intelligence consciente, par nature très limitée. A titre d’exemple, savez-vous que plus de 95% de notre fonctionnement cérébral relève du non cognitif et ainsi échappe à notre raison ? Et pourtant nous passons notre temps, par méconnaissance de la science, par conditionnement culturel ou par manque d’humilité, à ne pas en tenir compte ! Etonnant, non ?
Affuter sa logique décisionnelle
Des recherches récentes en psychologie et en neuropsychologie montrent que des facteurs tels que les émotions, notre éducation, nos préjugés et notre faculté de discriminer occupent une place déterminante dans le processus décisionnel et altèrent la qualité des décisions prises.
Par exemple, si nous étions en colère lorsque nous avons pris une décision, chaque fois que nous mettrons en œuvre cette décision, nous risquons de ressentir la même colère. Et parce que nous devons alors lutter contre cette émotion négative, nous finissions par perdre toute envie de mettre en œuvre cette décision. A l’inverse, les émotions positives, telles que l’empathie, la compassion ou l‘ouverture ressenties lors de la prise d’une décision, peuvent renforcer notre envie de mettre en œuvre cette décision. De la même manière quelqu’un qui souffre d’anxiété anticipée verra le fonctionnement de son cortex frontal perturbé car l’amygdale, siège de la peur est alors stimulée et son processus décisionnel modifié.
Les leaders éclairés sont conscients des erreurs de jugements systématiques liées aux différents biais cognitifs qui nous égarent de manière irrationnelle et non maitrisable. Cependant, s’ils restent individuellement à la merci de leurs biais, ils savent qu’ils peuvent voir et corriger ceux d’autrui et inversement. Pour prendre de meilleures décisions, il leur faut donc exploiter la force du collectif et bâtir des processus de décision adaptés.
Les leaders éclairés font appel intuitivement à leur discernement lorsqu’ils prennent une décision, surtout lorsque celle-ci est cruciale et écoutent attentivement les membres de leur entourage surtout lorsque ces derniers remettent en cause leurs présupposés et leurs décisions.
En définitive
Alors que dans les pays anglosaxons la réduction de ces biais cognitifs est devenue la priorité des meilleurs conseils d’administration, en France, quarante après le début des sciences cognitives, le terme « biais » reste toujours peu connu dans le monde de l’entreprise qui continue à reproduire des schémas classiques, sources d’erreurs récurrentes et parfois dramatiques.
Alors, qu’attendons-nous encore pour changer nos modèles et modifier nos méthodes de prise de décision !
Article publié par Sabine DRUJON le 24 avril 2017 sur LinkedIn
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