L’ETHIQUE COMME CULTURE D’ENTREPRISE

Dans les années 1980, alors que Katherine Nelson, VP R.H. de Citicorp, animait une session de formation à la déontologie destinée à des managers japonais, elle les interrogea sur un dilemme éthique commun. Les responsables japonais répondirent unanimement qu’ils passeraient outre leur responsable afin de remonter la question au niveau supérieur.

Surprise par leur réponse, pensant que cela allait à l’encontre de la déférence et de la culture japonaise très respectueuse de l’autorité, elle leur demanda :  » Ceci ne va-t-il pas à l’encontre de la culture japonaise ?  » Ce à quoi ils ont répondu :  » Nous sommes bien plus Citicorp que japonais !  »

Comment la culture influence-t-elle le comportement ?

Les collaborateurs s’intègrent à la culture d’une organisation par un processus appelé acculturation ou socialisation. Avec la socialisation, les salariés agissent en adéquation avec ce qu’ils pensent comprendre de ce que l’on attend d’eux. Leur comportement n’a peut-être rien à voir avec leurs convictions ou leurs valeurs personnelles, mais ce conformisme leur permet de s’intégrer et d’être approuvés par leurs pairs et leurs supérieurs.

Contrairement à une idée reçue, la plupart des gens préfèrent se comporter de manière éthique. Et lorsqu’ils rejoignent une organisation ayant une forte culture éthique, les messages sur l’honnêteté et le respect qui correspondent à leurs valeurs personnelles sont facilement intériorisés. Ils agissent de manière éthique car cela leur semble naturel et aligné avec les messages culturels qu’ils reçoivent.

Malheureusement, la plupart des salariés pourront être amenés à adopter un comportement contraire à l’éthique si les comportements et les messages informels transmis sont déviants. Par exemple, si toutes les personnes qui les entourent mentent aux clients, il est fort probable qu’ils fassent de même. En tout cas, tant qu’ils feront partie de cette organisation.

Alignement des systèmes formels et informels

Une culture éthique est créée et maintenue grâce à une interaction complexe de systèmes organisationnels formels et informels (Figure 1.1) qui doivent être alignés afin de lever toute ambiguïté d’interprétation concernant les attentes réelles du management. C’est cet alignement qui créera un message éthique cohérent et qui soutiendra le comportement éthique. Et c’est également à cause du manque d’alignement que les cultures se brisent.

Il est primordial que les valeurs et la mission soient étroitement alignées sur les autres dimensions culturelles car les mots importent beaucoup moins que la manière dont ils sont incarnés.

Alignement des systèmes formels et informels

Audit de la culture

Le seul moyen de déterminer si votre culture est alignée avec un comportement éthique passe par la réalisation d’audits complets et réguliers de tous les systèmes culturels pertinents, qu’ils soient formels ou informels.

Et si l’audit de votre culture détermine que certains aspects ne sont pas alignés avec un comportement éthique et que votre objectif est de développer un comportement éthique cohérent, alors votre culture doit changer.

L’approche consistera dans ce cas à adopter des méthodologies de transformation culturelle qui permettront de modifier les comportements afin d’élever le niveau éthique de l’organisation.

Autorité, responsabilité et culture éthique

L’idée d’une autorité légitime peut présenter des risques dans le cadre d’une culture éthique. En effet, l’être humain a tendance à obéir aux figures d’autorité quoi qu’on lui ordonne de faire (Cf. l’expérience de Stanley Milgram). Or, cette tendance naturelle à l’obéissance inconditionnelle peut constituer une réelle menace pour une culture éthique.

Les recherches ont révélé que plus une entreprise demande une obéissance absolue à l’autorité, plus le comportement contraire à l’éthique est élevé. Les collaborateurs auront tendance à moins demander de conseils sur des questions éthiques, à signaler des infractions déontologiques ou à transmettre de mauvaises nouvelles à leur management.

La loyauté est généralement une qualité, mais vous n’avez pas à être loyal ou obéissant à un patron ou une organisation qui vous demande d’avoir des agissements contraires à l’éthique.

Processus de décision

Les êtres humains utilisent six modes de prise de décision : l’instinct, les croyances inconscientes, les croyances conscientes, les valeurs, l’intuition et l’inspiration. Une prise de décision basée sur les valeurs permet de créer les conditions d’une décision qui résonne avec le moi profond, celui qui prend sa source dans ce que l’on croit être « l’action juste », celle qui a du sens pour nous.

Elle crée alors les conditions qui permettent l’épanouissement de l’authenticité et de l’intégrité. Dans une culture éthique alignée, les leaders intègrent ces préoccupations éthiques dans toutes les prises de décision. « Quel sera l’impact de cette décision d’un point de vue éthique ? » « Quel futur allons-nous contribuer à dessiner ? ».

L’accent mis sur l’éthique dans la prise de décision peut également être renforcé en abordant régulièrement les préoccupations éthiques lors des réunions et en en faisant un élément traditionnellement intégré dans les différents rapports transmis aux dirigeants par exemple sur les nouveaux produits ou les nouvelles entreprises à acquérir.

Climat organisationnel

La perception du climat organisationnel influence considérablement l’éthique dans l’entreprise. Par exemple, lorsque les employés pensent à la culture éthique, ils ont tendance à d’abord penser au climat d’équité dans l’entreprise. Cela signifie qu’ils considèrent que les employés doivent être traités équitablement en termes de rémunération, de promotions, de dignité, de respect….

Il est logique qu’il devienne alors difficile de mettre en cause leur comportement éthiques’ils estiment que l’organisation ne se comporte pas de manière juste envers eux. Les recherches ont montré que la perception d’un traitement équitable aura une influence aussi forte sur le comportement éthique des employés que n’importe quel système culturel formel ou informel décrit précédemment.

Le comportement des collaborateurs semble également influencé par leur perception d’un climat de bienveillance. Ils seront davantage enclins à faire preuve d’un comportement éthique dans une organisation qui s’intéresse à eux.

Développer une culture éthique

Nous pouvons conclure que l’éthique au travail est donc fortement influencée par la culture éthique qui règne dans l’organisation. Les systèmes et processus formels et informels canalisent et renforcent certains types de comportement qui peuvent fonctionner de concert ou s’opposer en créant des messages contradictoires.

Imaginez une organisation dotée d’un code d’éthique qui interdit aux employés d’accepter des cadeaux de toutes sortes alors qu’un cadre supérieur accepte des places pour une mach de tennis de la part d’un client. Cette approche du « faites ce que je dis mais pas ce que je fais » conduit alors à un cynisme généralisé. Le code perd toute crédibilité. Les collaborateurs accorderont davantage d’attention à ce qui est fait plutôt qu’à ce qui est dit ou écrit.

Compte tenu de l’influence systémique de la culture d’entreprise, changer l’éthique organisationnelle implique de développer ou de modifier simultanément de nombreux aspects de la culture éthique de l’organisation. Cela nécessite donc un engagement fort de la direction générale. D’autant qu’un changement culturel centré aux niveaux inférieurs sera inefficace s’il n’est pas pleinement soutenu et incarné par la direction générale.

Et pour conclure

Pourquoi des manager qui ont réussi dans un environnement privilégiant des comportements contraires à l’éthique voudraient-ils changer ? Ils auront au contraire tendance à embaucher des gens comme eux afin de perpétuer cette culture existante qui les a récompensés.

Le plus souvent, la pression en faveur d’un changement culturel provient de l’extérieur : actionnaires, régulateurs ou autres parties prenantes. Car la tendance humaine à vouloir conserver la culture existante reste très forte, d’autant qu’une culture contraire à l’éthique aura tendance à se nourrir d’elle-même.

Une organisation qui ressentira une vulnérabilité accrue liée à une forte pression externe sera ainsi plus disposée à renforcer la gestion de sa culture éthique. Mais soyez-en certains, aucun changement majeur ne se produira à moins que le Conseil d’administration et le PDG ne décident que le changement est nécessaire.

Sabine DRUJON, Président de la société VALUES & SENSE